Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie : “La Russie a déjà perdu à bien des égards”

Salomé Zourabichvili, présidente de la Géorgie depuis 2018, a reçu Le Monde à Tbilissi dimanche 12 novembre, quatre jours après le feu vert de la Commission européenne pour l’octroi au pays du statut de candidat officiel à l’UE.

Elle analyse les défis auxquels ce territoire du Caucase est confronté, ainsi que le rôle de l’oligarque Bidzina Ivanichvili, qui dirige le pays dans l’ombre.

La présidente géorgienne justifie la décision de la Commission européenne concernant le statut officiel de la Géorgie en soulignant que bien que certaines conditions n’aient pas été entièrement remplies, l’avis positif est stratégiquement correct.

Elle suggère que rendre un avis négatif aurait été interprété comme un cadeau pour la Russie, pouvant encourager cette dernière à exercer davantage de pression sur la Géorgie pour la maintenir dans une “zone grise”.

La présidente affirme que cette décision témoigne de la reconnaissance de la volonté européenne exprimée par la population géorgienne. Elle souligne que, après un premier refus en juin 2022, un deuxième refus aurait été une source de déception.

La présidente géorgienne souligne que la population géorgienne a une histoire marquée par l’ère soviétique et est donc consciente des mécanismes de la propagande officielle. Elle exprime sa confiance dans le fait que la population restera lucide et vigilante dans les mois à venir. Elle n’est pas préoccupée par le renforcement du parti pro-russe et  affirme que l’avis positif a un effet essentiel. Selon elle, cet avis oblige les autorités géorgiennes à adopter un discours proeuropéen, ce qui n’était pas le cas depuis un certain temps.

Salomé Zourabichvili note que le gouvernement a davantage de moyens de pression sur elle que l’inverse, faisant référence à une tentative avortée de destitution en octobre. Zourabichvili mentionne une citation d’Antonio Guterres, le secrétaire général de l’ONU, pour expliquer la portée de son pouvoir. Selon cette citation, elle n’a aucun pouvoir à part celui de la parole.

La présidente explique qu’elle utilise son droit de veto chaque fois qu’une loi va à l’encontre des recommandations européennes. Bien que son véto soit systématiquement révoqué, elle souligne qu’il a un effet d’avertissement public, mettant ainsi en lumière sa capacité à influencer le débat public et à exprimer son désaccord face à des initiatives qui vont à l’encontre des principes européens.

Salomé Zourabichvili reconnaît que Bidzina Ivanichvili a joué un rôle significatif en la nommant candidate à la présidence de la République en 2018, en dépit de ses positions proeuropéennes. Cependant, elle souligne qu’Ivanichvili n’a pas contribué positivement à accélérer le cheminement de la Géorgie vers l’UE. “Il est clair que je n’avais pas, en tant que candidate indépendante, les moyens d’être élue. Ce qu’il me reproche, c’est probablement de ne pas être à sa main, comme le sont les dirigeants membres de Rêve géorgien.”

Elle affirme qu’Ivanichvili a une influence dominante sur les dirigeants actuels de la Géorgie.

La présidente déclare qu’elle n’a eu aucun échange avec Bidzina Ivanichvili depuis deux ans et demi.

La présidente décrit Bidzina Ivanichvili comme un oligarque qui a fait fortune en Russie et dont la mentalité est influencée par son passé. Elle divise le monde en deux catégories : ceux qui, comme Ivanichvili, ne peuvent pas imaginer que la Russie va perdre. Sous cette influence, selon la présidente, les jeunes membres du gouvernement, éduqués en Europe, montrent de la faiblesse et de la complaisance envers la Russie, ce qu’elle considère comme une mauvaise compréhension de la nouvelle géopolitique.

La présidente suggère qu’une autre partie, en particulier les plus jeunes, estime que la Russie ne peut plus retrouver son ancienne puissance. Elle avance que la Russie a déjà perdu militairement et en termes de prestige, citant des exemples comme l’entrée de la Finlande et de la Suède dans l’OTAN et l’accélération attendue de l’intégration européenne de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie. Elle attribue cela, de manière sarcastique en utilisant le terme “grâce”, à la Russie, soulignant que ce développement n’était pas prévu dans leur calendrier et que la Russie a perdu dans ce contexte.

Le gouvernement a tenté de destituer la présidente pour des raisons liées à ses déplacements à l’étranger. La présidente souligne qu’elle a contesté ces accusations devant la Cour constitutionnelle. Elle affirme sa détermination à maintenir sa liberté de voyager malgré les menaces persistantes.

 

Source: Le Monde

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