La dissolution de l’enclave séparatiste, terrain d’affrontements meurtriers depuis plus de trente ans entre Erevan et Bakou, rebat les cartes dans la région. L’Arménie est désormais elle-même menacée, estime le chercheur britannique Thomas de Waal, interviewé par Le Monde.
Thomas de Waal est spécialiste du Caucase au centre de réflexion Carnegie Europe et l’auteur du livre Black Garden (NYU Press, 2003, non traduit), ouvrage de référence sur le Karabakh, l’enclave séparatiste dont l’indépendance n’a jamais été reconnue par la communauté internationale, pas même par l’Arménie.
“Ce qui s’est passé en septembre était écrit depuis la fin de la guerre de 2020, lorsque l’Arménie a perdu presque tout le contrôle du Haut-Karabakh”, note Thomas de Waal.
“Les Arméniens comprennent que la Russie les a trahis, mais il leur faudra de nombreuses années pour devenir plus indépendants de Moscou”, fait remarquer le chercheur.
Thomas de Waal considère que l’exode massif des Arméniens du -Karabakh peut être qualifié de “nettoyage ethnique”. Il explique que l’Azerbaïdjan a choisi la force plutôt que la diplomatie pour régler la question du Karabakh. La Russie a joué un rôle clé en ne s’opposant pas à l’offensive azerbaïdjanaise.
“La crainte est qu’il existe désormais une sorte de programme commun entre l’Azerbaïdjan, la Russie et la Turquie, visant à garder une Arménie faible, à maintenir les troupes russes sur place et à ce que le corridor de Zanguezour soit surveillé par des gardes-frontières russes”, affirme Thomas de Waal.
Il souligne que la chute de l’enclave séparatiste du Haut-Karabakh renforce la Russie et la Turquie dans la région, tandis que l’Azerbaïdjan devient l’acteur dominant. “La Russie ne cherche plus à contrôler le Caucase du Sud de façon néo-impériale, mais à trouver des partenaires dans la région. Elle accepte cette nouvelle réalité, qui est qu’elle ne retrouvera jamais sa domination antérieure sur la région.”
Thomas de Waal appelle l’Europe à être beaucoup plus proactifs et soutenir fortement l’Arménie. Selon lui, l’Azerbaïdjan veut marginaliser le rôle des acteurs européens, mais l’Arménie tente de s’y opposer.
D’après lui, la chute de l’enclave séparatiste marque la fin de la phase militaire majeure de ce conflit, mais la violence peut continuer par d’autres moyens.
“Le fait que l’Azerbaïdjan a utilisé la force plutôt que la diplomatie est une grande tragédie. Cela a créé un dangereux précédent et engendré un nouveau cycle de nettoyage ethnique, de haine et d’amertume, qui se poursuivra pendant une autre génération”, note Thomas de Waal.
Source: Le Monde