“Aujourd’hui, l’Arménie concentre à peu près toutes les difficultés géopolitiques possibles”, affirme l’essayiste et géopolitologue Frédéric Encel dans son article publié mardi 23 mai dans L’Express.
“Non seulement deux de ses quatre voisins – la Turquie et l’Azerbaïdjan alliés – lui sont hostiles, mais le second est en guerre ouverte depuis 1991, et a fortiori depuis son offensive victorieuse de 2020 et le blocus des 120 000 habitants du Karabakh qui prévaut depuis. Or, ces coalisés sont bien plus peuplés et riches que l’Arménie, et, en outre, ils cherchent à joindre leurs frontières ; pour ce faire, il faudrait sectionner l’étroit corridor du Zanguezour (dit aussi de Meghri).
Les deux autres voisins, la Géorgie au nord et l’Iran au sud, ne constituent pas un contrepoids, faute d’alliance entre eux et de chacun d’eux avec Erevan, et parce que la première est pauvre (et partiellement occupée par l’armée russe), et le second entravé par les sanctions internationales liées au dossier nucléaire.
Tout aussi grave, le véritable allié statutaire de l’Arménie, la Russie, a gravement failli en ne la défendant ni lors de l’offensive de l’armée azerbaïdjanaise de septembre 2020 contre le Haut-Karabakh ni depuis, contre les incursions de celle-ci à ses frontières pourtant internationalement reconnues.
Las, l’alternative à Moscou n’existe pas ; jamais les Etats-Unis ne prendront le risque d’intervenir militairement loin de leurs bases dans un espace aussi dangereux et sans intérêt majeur”, note Frédéric Encel.
Il ajoute qu’après la victoire de 1994, l’Arménie n’a sérieusement pensé à rien. “A l’extérieur, on n’entreprit ni annexion, ni reconnaissance, ni retrait partiel du Karabakh disputé, ni même adaptation stratégique, privilégiant un attentisme qui, à terme, a fini par favoriser l’Azerbaïdjan producteur de pétrole. À l’intérieur, on maintint la corruption (contestée par les citoyens arméniens eux-mêmes ces dernières décennies) et une absence de politique sociale et démographique, alors même que les niveaux de natalité et de flux migratoires étaient alarmants.”
À son avis, l’Arménie n’a que deux avantages : premièrement, une diaspora active et relativement puissante, en particulier en Europe et aux États-Unis, qui aide à répondre à certains besoins sociaux et humanitaires et encourage les gouvernements à élever la voix ; deuxièmement, le refus de l’Iran de voir l’Azerbaïdjan et la Turquie se renforcer.
“La France, au regard de sa longue et réelle proximité avec le peuple arménien, et parce que membre permanent du Conseil de sécurité et du groupe de Minsk et principale puissance politico-militaire de l’UE, devrait jouer un rôle bien plus actif”, conclut-il.
Source: L’Express