“Recep Tayyip Erdogan semble chercher à profiter de la guerre en Ukraine”, analyse Marc Daou, journaliste de France 24.
Selon Marc Daou, le président turc cherche à défier l’Occident sur le terrain diplomatique. Ainsi, Ankara bloque les demandes d’adhésion à l’OTAN de la Finlande et de la Suède, menace d’une nouvelle offensive contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie et refuse d’imposer des sanctions contre la Russie.
La Turquie reproche à la Finlande et la Suède leur proximité avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Ce mouvement kurde, listé comme terroriste par Ankara, mais aussi par les États-Unis ou encore l’Union européenne, mène une guérilla en Turquie depuis 1984. Erdogan dit attendre des mesures concrètes et sérieuses de ces deux pays avant d’envisager de leur ouvrir la porte de l’OTAN.
“Lorsqu’il évoque une nouvelle offensive contre les forces kurdes dans le nord de la Syrie ou qu’il menace de bloquer l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’Otan, Recep Tayyip Erdogan cherche à montrer qu’il ne transige pas avec le nationalisme turc et qu’il peut imposer son agenda et ses conditions”, affirme David Rigoulet-Roze, spécialiste du Moyen-Orient, chercheur associé à l’Institut de recherches internationales et stratégiques (Iris) et rédacteur en chef de la revue Orients stratégiques. “Ce surinvestissement nationaliste vise à compenser sa désastreuse gestion économique du pays, à flatter sa base et mobiliser les électeurs dans la perspective des prochaines élections qui s’annoncent plutôt compliquées pour lui.”
Selon un sondage du German Marshall Fund publié en avril, 58,3 % des Turcs considèrent les États-Unis comme “la principale menace contre les intérêts turcs”, tandis que 62,4 % d’entre eux estiment que les Européens “cherchent à diviser et désintégrer la Turquie”. Ils sont également 69,8 % à penser que les pays européens ont aidé à renforcer des organisations séparatistes comme le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK).
Selon Marc Daou, le président turc cherche à replacer la Turquie dans les rangs des puissances influentes, tant au niveau régional qu’international.
“Recep Tayyip Erdogan est très nostalgique de la grandeur ottomane qui a un écho profond dans la psyché turque actuelle, avec l’idée selon laquelle la Turquie doit redevenir une puissance reconnue comme telle, à défaut d’un empire”, affirme David Rigoulet-Roze. “Le problème, c’est que les ambitions de Recep Tayyip Erdogan sont bridées par la réalité, puisque la Turquie ne peut pas se permettre de se retrouver isolée, alors qu’elle est en grande difficulté économiquement, et que le pouvoir d’achat des Turcs est laminé.”
Le journaliste de France 24 fait remarquer que la Turquie est garante de la convention de Montreux, qui permet la libre circulation dans les Dardanelles et le Bosphore, ainsi qu’en mer Noire, et qui est nécessaire du point de vue militaire et géopolitique des Occidentaux. “Si son appartenance à l’Otan pose désormais question tant elle compromet l’élargissement de l’alliance en pleine guerre en Ukraine, ils semblent condamnés à une cohabitation avec l’homme fort d’Ankara”, note le journaliste.
“Ce n’est certainement pas le moment de remettre en question le rôle et le statut de la Turquie dans l’Otan, ce n’est dans l’intérêt de personne, mais pour autant, le crédit que les autres membres lui accordent n’est plus forcément le même, clairement”, conclut David Rigoulet-Roze. “La Turquie reste indispensable aux yeux des Occidentaux qui cherchent à l’empêcher de faire cavalier seul, parce qu’il s’agit d’un pays charnière : Caucase, Moyen-Orient, mer Noire et Europe.”
Source: France 24