“Il faudrait un coup de théâtre pour ramener la Turquie vers une adhésion univoque au camp transatlantique”

Les relations compliquées avec Moscou, qui maintient une attitude provocatrice, et Ankara, qui reste dans une politique stratégique ambivalente, sont un sujet délicat, avant le sommet de l’OTAN lundi 14 juin, explique, dans une tribune au “Monde”, Marc Pierini, ancien ambassadeur de l’Union européenne en Turquie.

Selon Marc Pierini, le prochain sommet de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), le 14 juin à Bruxelles, est crucial pour l’Alliance atlantique: si Joe Biden apporte un ton plus constructif dans les discussions, il n’en reste pas moins que l’organisation est confrontée à une posture provocatrice de la Russie et à une politique plus qu’ambivalente de la Turquie qui, elle, souhaite se situer à égale distance de l’Alliance et de Moscou.

L’ancien ambassadeur souligne que la cohésion de l’OTAN est mise à rude épreuve. Le plat de résistance du sommet de Bruxelles sera assurément la relation avec la Russie. L’Alliance devra tenter de rationaliser le comportement de la Turquie au cours des deux dernières années. 

La Turquie a acquis et déployé des systèmes russes antimissiles S-400, créant ainsi une situation hors norme au sein de l’Alliance. L’armée de l’air turque se trouve scindée en deux. Ses forces conventionnelles (notamment ses 245 chasseurs-bombardiers F-16) sont reliées opérationnellement à l’OTAN, mais sa défense antimissile (les S-400, par définition déconnectés des mécanismes de l’OTAN) reste dépendante de Moscou pour son entretien. Ankara a permis à la Russie de prendre un avantage substantiel sur l’architecture transatlantique de défense de l’Europe.

D’après Marc Pierini, “il faudrait un coup de théâtre pour ramener la Turquie vers une adhésion univoque au camp transatlantique et voir la Russie accepter un gel explicite des missiles vendus à Ankara.”

Il existe les divergences politiques entre Ankara et les puissances occidentales: proclamation récente par le président Erdogan que le multipartisme n’est pas une voie d’avenir en Turquie, retrait de la convention d’Istanbul pour lutter contre la violence faite aux femmes, outrages personnalisés à l’égard de la chancelière allemande, Angela Merkel, et du président français, Emmanuel Macron, intrusions dans la politique intérieure de plusieurs pays européens.

L’entente entre les présidents russe et turc, les annonces de vente d’armements turcs à la Pologne et l’Ukraine et les divergences sur la Crimée ont une conséquence bien réelle: elle a entraîné Recep Tayyip Erdogan à afficher une posture militaire, politique et sociétale largement alignée sur celle de la Russie. Récemment, Ankara a même obligé les instances de l’OTAN à atténuer fortement leur déclaration sur le détournement par la Biélorussie d’un appareil de la compagnie Ryanair.

Selon Marc Pierini, ramener le président turc vers des positions plus acceptables pour l’Alliance atlantique sera d’autant plus hasardeux que la profonde crise économique de son pays menace sa carrière politique et que cette situation électorale fragilisée pourrait le porter à de nouveaux excès en interne et en externe.

 

Source: Le Monde

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