Incident diplomatique à Ankara, soutien à l’Ukraine face à la Russie, baisse des tensions avec Emmanuel Macron: la Turquie s’impose au cœur de l’agenda international. Didier Billion, Directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), donne son point de vue sur ces événements.
Le politologue souligne que l’incident diplomatique qui a eu lieu lors d’une rencontre officielle entre le président turc Recep Tayyip Erdogan, le président du Conseil européen Charles Michel, et la présidente de la Commission européenne Ursula Von der Leyen, a généré de nombreux commentaires.
Dans un premier temps, beaucoup y ont vu une manœuvre de “l’islamiste Erdogan” et une preuve supplémentaire de son sexisme. Mais, dans une deuxième séquence, certaines voix sont rapidement venues expliquer qu’une telle situation correspondait au protocole européen, qui induit une prééminence du dirigeant du Conseil européen sur celui de la Commission européenne. De ce point de vue, les Turcs n’ont pas de responsabilité.
C’est bien l’incompétence de l’UE qui est exposée dans cette affaire et ses rivalités internes étalées publiquement. Situation d’autant plus piquante que Mme Von der Leyen ne cesse d’affirmer qu’elle désire une Commission géopolitique, ce qui nécessiterait, a minima, qu’elle se hisse au niveau de ce qu’elle prétend atteindre.
Il est regrettable que cette anecdote ait rendu peu lisible la feuille de route dont étaient porteurs les deux responsables européens sur de nombreux dossiers: gestion des flux migratoires, question des visas pour les ressortissants turcs, actualisation de l’union douanière, questions énergétiques, transports, justice, lutte contre le terrorisme, etc.
Didier Billion a également abordé la question du soutien de la Turquie apporté à l’Ukraine.
Samedi 10 avril, le président ukrainien Volodymyr Zelensky s’est rendu à Ankara où il a rencontré le président Erdogan. D’après M. Billion, le message du président turc se décline en trois aspects: tout faire pour éviter l’escalade des tensions entre la Russie et l’Ukraine; réitérer son soutien à l’intégrité et à la souveraineté de l’Ukraine; réaffirmer sa position sur la non-reconnaissance de l’annexion de la Crimée. Ankara s’oppose systématiquement à la modification des frontières.
Vladimir Poutine, pour sa part, cherche à enfoncer des coins entre la Turquie et l’OTAN dont elle est un des États membres importants. Même si la Turquie connaît des divergences avec l’Alliance atlantique, ou plus précisément avec certains de ses membres, il est pour elle absolument hors de question d’en sortir.
Didier Billion a également abordé la question des relations franco-turques qui se sont considérablement dégradées lors des derniers mois.
Sur les dossiers régionaux, les positions françaises et turques sont radicalement opposées: Syrie, Libye, Méditerranée orientale, Haut-Karabakh ont été autant de points de fortes divergences tout au long de l’année 2020.
M. Billion souligne que l’intervention militaire d’Ankara au premier semestre 2020 en Libye a totalement modifié les rapports de force locaux et donc démontré l’efficacité de la stratégie turque, s’inscrivant, faut-il le rappeler, dans le cadre du droit international. A contrario, la France, qui avait quelques velléités de peser sur la résolution du conflit libyen, s’est trouvée totalement en porte-à-faux puisque, membre du Conseil de Sécurité qui soutenait théoriquement l’ex-gouvernement de Fayez el-Sarraj, elle a en réalité apporté son soutien à son opposant le plus acharné, le maréchal Haftar.
Le politologue note que M. Macron a promu une ligne dure à l’égard de la Turquie, préconisant des sanctions contre ce pays et tentant de faire valoir cette ligne au sein de l’OTAN et au sein de l’Union européenne, sans pour autant parvenir à ses fins. Il a alors probablement compris qu’il valait mieux jouer la carte de l’apaisement. Au même moment, la Turquie, inquiète de l’arrivée de Biden à la Maison-Blanche, s’est à nouveau tournée vers l’Union européenne, entre autres vers la France. On assiste donc à une volonté convergente d’apaiser les relation.
Source: site Web de l’IRIS