La Turquie oscille entre l’héritage profondément laïc du fondateur de la République, Mustafa Kemal Atatürk, et la religion d’État que prône désormais le président Recep Tayyip Erdogan. Le correspondante de France 24, Shona Bhattacharyya a réalisé le reportage à Istanbul, publié vendredi 12 mars.
Depuis le 24 juillet, Saint-Sophie est une mosquée, rappelle le correspondante.
L’historien Osman Çorumlu note que Saint-Sophie est une énorme symbole de la conquête. “Je n’aime pas trop voir des gens qui se promènent comme si c’était une plage ou un endroit touristique. Ce n’est pas un endroit touristique. C’est un endroit qui compte pour les musulmans. Les gens viennent juste pour voir et l’espace dédié à la prière est très petit. Je dirais que ce n’est pas compatible avec l’esprit d’Ayasofya. Je comprends l’excitation des gens, ils veulent la voir, mais pas comme ça”, dit-il.
Pendant mille ans, Saint-Sophie fut la plus grande église du monde avant de devenir mosquée lors de la conquête de Constantinople par les ottomans en 1453. Cinq siècles plus tard, Mustafa Kemal Atatürk en fit un musée.
“Cette décision n’avait pas été acceptée. Elle n’a pas été considérée comme légitime par les musulmans. Qu’est-ce qu’un turc? Pouvons-nous séparer turc et musulman? C’est impossible. En fait, je me fiche de la motivation d’Erdogan. J’apprécie pleinement cette décision et d’une manière générale, l’Islam a gagné ou gagnera comme on peut le voir. A la fin, bien sûr, l’Islam triomphera”, explique Osman Çorumlu.
Selon Feride Ufuk Yıldırım, présidente de l’association de la pensée kémaliste à Izmir, en Turquie il y a une masse de gens qui est kémaliste, laïque, démocratique et cela ne changera pas. “Notre essence c’est Atatürk et personne ne pourra changer notre essence. L’intérêt que porte la jeunesse au kémalisme ne cesse d’augmenter de jour en jour, car eux aussi sont conscients de l’importance de la modernité, du système républicain, de la laïcité”, dit-elle.
D’après Ilyas Kılıç, membre de l’association de la pensée kémaliste, “Atatürk veut dire la Turquie et la Turquie veut dire Atatürk. C’est un grand leader historique. Atatürk est une bénédiction, un cadeau du Tout-Puissant à la nation turque et c’est pour cela que tout ce qu’il a entrepris fut couronné de succès”.
Atatürk reste aujourd’hui un figure tutélaire. Insulter sa mémoire peut vous conduire en prison. Pourtant, ses portraits tentent de disparaître des murs de certaines écoles.
L’école publique Recep Tayyip Erdogan d’Istanbul est un établissement Imam Hatip. Dans sa jeunesse, le président lui-même l’a fréquenté, c’est pour cela qu’il a été renommé en son honneur et rénové à l’aide de 9 millions d’euros. Ni la direction de l’école, ni le ministère de l’Education n’ont donné suite à des nombreuses demandes de France 24 d’entretien.
“A propos du programme scolaire, on peut dire que dans les lycées Imam Hatip, lorsque nous regardons les cours dispensés au cours de la semaine, environ un quart, plus précisément, 26 % de ces cours sont des cours choisis. Or, en réalité ces cours choisis sont des cours liés à l’Islam sunnite. Le fait que d’autres groupes religieux ou confessionnels n’ont pas obtenu un droit similaire à avoir leurs propres écoles indique que l’Etat n’est pas impartial”, dit la chercheuse Ishik Tuzun qui travaille sur les écoles Imam Hatip. Elle a vu leur nombre exploser depuis l’arrivée au pouvoir de Recep Tayyip Erdogan.
Si à l’origine ces établissements étaient fréquentés par des étudiants destinés à devenir Imams, le président souhaite aujourd’hui que le maximum d’élèves y soient scolarisés.
D’après les chiffres du ministère de l’Education, l’État verse plus d’argent par élève à ces établissements qu’aux autres. Et pourtant, la majorité des anciens élèves interrogés dans un sondage disent regretter d’y avoir été scolarisés.
En effet, de plus en plus de jeunes turcs rejettent les préceptes religieux, ce que la presse nomme “le phénomène déiste”, c’est-à-dire, un Islam personnel ou “à la carte”. Certains vont plus loin et se disent même athées.
D’après Shona Bhattacharyya, “aujourd’hui il y a une vraie fracture dans la société. D’un côté, ceux qui défendent une vision laïque, plutôt européenne, et de l’autre, une vision de l’identité turque qui a ses racines dans la religion musulmane, qui constitue le pilier central de la Turquie d’aujourd’hui”.
Source: chaîne Youtube de France 24