Le sénateur Pierre Ouzoulias: la France dans le Caucase dépend totalement de la position de la Russie

La Turquie est devenue une puissance moyenne désinhibée et le cadre du groupe de Minsk est totalement inadapté pour tenter de gérer son surgissement dans le Caucase. Le conflit a montré que la France était totalement dépendante de la position militaire et diplomatique de la Russie”, a déclaré Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine dans une interview exclusive accordée à Caucase de France

CDF – En 2020, nous avons assisté à des relations conflictuelles entre la France et la Turquie. Pensez-vous que la normalisation des relations entre les pays est possible? Comment envisagez-vous le développement des relations entre la France et la Turquie? De quelle manière, à votre avis, les relations entre la France et la Turquie peuvent-elles être réglées?

PO – En 2020, la Turquie a mené des actions militaires agressives aux marges de l’ancien empire ottoman. Son objectif géostratégique revendiqué est de réaffirmer par la force sa tutelle sur ces territoires, qu’elle associe à un passé glorieux dont elle souhaite faire un mythe national mobilisateur. La France, un peu isolée au sein de l’Union européenne, a marqué par son aide diplomatique, politique et militaire à la Grèce sa volonté de ne pas accepter ces provocations et la politique du “fait accompli”.

Les relations de la Turquie, de la France et de l’Union européenne ne peuvent être fondées que sur la négociation, le respect de la souveraineté des États et le multilatéralisme. Il revient à la Turquie, et uniquement à elle, de montrer qu’elle souhaite pour l’avenir respecter ces principes.

Enfin, l’attitude très belliciste de la Turquie contre un des membres de l’OTAN a montré le caractère totalement artificiel de cette alliance qui ne survivra pas au désengagement des États-Unis de la région.

– On voudrait connaître votre point de vue sur le conflit du Haut-Karabakh et le rôle de la France dans ce conflit. A votre avis, la France ne s’inquiète-t-elle pas du rapprochement de l’Azerbaïdjan et de l’Arménie avec la Russie, qui est devenue le médiateur principal entre les deux pays dans le conflit?

La guerre totale menée par l’Azerbaïdjan contre la République d’Artsakh a surpris de nombreux observateurs qui ont pris conscience de la capacité de la Turquie à s’engager directement, et indirectement par le recours à des supplétifs syriens, dans un conflit régional. La Turquie est devenue une puissance moyenne désinhibée et le cadre du groupe de Minsk est totalement inadapté pour tenter de gérer son surgissement dans le Caucase. Le conflit a montré que la France était totalement dépendante de la position militaire et diplomatique de la Russie.

– D’après vous, la France n’a-t-elle pas peur de perdre un partenaire économiquement attractif comme l’Azerbaïdjan, en soutenant l’Arménie?

Les relations internationales ne sont pas uniquement dictées par des intérêts commerciaux. La France partage avec l’Arménie une grande partie de son histoire moderne. Ces deux peuples restent unis par les mêmes idéaux de liberté, de justice et souhaitent maintenir vivant le souvenir du génocide arménien comme un exemple, pour les générations futures, des conséquences du nationalisme et de la haine de l’Autre.

J’observe que les efforts très importants consentis par l’Azerbaïdjan pour tenter, en France, de dénouer ces liens n’ont pas réussi à ce que le Parlement demande au Gouvernement français la reconnaissance de la République d’Artsakh. Au Sénat, la résolution de reconnaissance a recueilli une très large majorité de 305 suffrages pour et un suffrage contre.

– Certains pays européens prévoient de participer à des projets conjoints avec l’Azerbaïdjan dans les territoires du Haut-Karabakh libérés de l’occupation arménienne. Pensez-vous que la France et l’Azerbaïdjan auront des projets communs?

Le Haut-Karabakh a proclamé son indépendance dans le cadre d’un processus démocratique et conforme au droit de l’époque. Le parti communiste français, auquel j’appartiens, a reconnu cette indépendance. Je pense donc que l’état de l’Azerbaïdjan dans la République d’Artsakh est celui d’une armée d’occupation. Les devoirs de l’Azerbaïdjan dans les territoires occupés de la République d’Artsakh obéissent au jus ad bellum et à toutes les conventions internationales en vigueur et plus particulièrement la IVe Convention de Genève (CG IV, art. 27-34 et 47-78).

Il appartient donc à l’Azerbaïdjan de préciser comment elle souhaite respecter ces conventions. En tant que vice-président de la commission de la culture du Sénat, je veillerai particulièrement au respect de la clause de cette convention qui concerne la préservation des biens culturels.

 

Pierre Ouzoulias, sénateur des Hauts-de-Seine 

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