A Choucha, cité meurtrie du Haut-Karabakh, les forces azerbaïdjanaises sous contrôle russe

Paul Tavignot, journaliste du Monde, s’est rendu à Choucha où il a rencontré les militaires du district. Depuis la fin du conflit, Le Monde a été le premier média étranger à y pénétrer.

Le journaliste décrit la situation dans cette région. 

Des soldats russes ont bloqué pendant dix minutes deux 4 x 4, dans lesquels se trouvaient le commandant Ershad, chef de l’administration de Choucha, et le colonel Mammedov, chef militaire du district. Devant eux, un véhicule blindé des forces de maintien de la paix russes tente un virage serré pour sortir de sa base et franchir un poste de contrôle russe barrant le corridor de Latchine au niveau de la ville de Choucha, pour gagner sa destination finale, 150 mètres plus loin, vers une autre base russe.

Des dizaines de véhicules civils arméniens passent sans problème devant des soldats russes. 

Choucha n’est desservie que par un seul axe routier placé sous l’autorité des forces d’interposition russes. Pour les Arméniens du Haut-Karabakh, c’est aussi le cordon ombilical reliant l’enclave à l’Arménie.

En attendant, les véhicules azerbaïdjanais ravitaillant Choucha doivent emprunter sur 42 km une route traversant des villages arméniens sous la maigre escorte d’un 4 x 4 portant le drapeau russe. Lequel ne daigne pas fixer d’horaires à l’avance et peut ne pas venir du tout pendant plusieurs jours. 

Le colonel Mammedov raconte qu’il y a sans arrêt des incidents. “Il y a une semaine, nous avons abattu un Arménien qui s’approchait d’un de nos postes de contrôle avec une grenade.”, dit-il. Pour lui, “la guerre n’est pas finie, les militaires arméniens ne se sont pas retirés, ils dissimulent leurs blindés, constituent des caches d’armes. Tant que les Arméniens ne se retireront pas, nous ne démobiliserons pas nos jeunes soldats, qui se bousillent la santé à dormir sous des tentes en plein hiver en montagne”. Il cite le troisième point de la déclaration tripartite du 10 novembre: “Le contingent de maintien de la paix de la Fédération de Russie est déployé parallèlement au retrait des forces armées arméniennes.” Mais les Russes font comme si de rien n’était.

En l’état actuel, il ne fait pas bon vivre à Choucha. Le réseau électrique est coupé. Les militaires se chauffent avec des poêles rudimentaires au bois. 

“Nous allons refaire de Choucha une ville florissante, tout sera reconstruit. Les civils reviendront s’installer dès cet été”, promet le commandant Ershad. Le retour de l’électricité est prévu d’ici deux semaines. Le réseau mobile a déjà été rétabli, permettant aux soldats de communiquer librement avec leurs proches. 

Le commandant affirme qu’après la prise de Choucha, les Arméniens ont tenté deux contre-attaques, à chaque fois précédées d’un bombardement. Il clame que “les Arméniens ont détruit systématiquement tous les bâtiments azerbaïdjanais de Choucha”.

Le journaliste fait remarquer que la capitale culturelle du Caucase au XIXe siècle, avec laquelle seule Tbilissi rivalisait, Choucha était le berceau de la culture azerbaïdjanaise, en particulier de sa musique et de sa poésie. Et un centre religieux pour les Arméniens. La ville forteresse a abrité, pendant plusieurs siècles, une population mixte azerbaïdjanaise et arménienne. 

 

Source: Le Monde 

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