La Russie, maître du jeu au Haut-Karabakh?

Jean-Robert Raviot, professeur de civilisation russe et soviétique à l’Université Paris-Nanterre, a accordé l’interview au site d’information Revue Conflits mardi 15 décembre.

La Russie s’est imposée comme le médiateur indispensable du conflit au Haut-Karabakh. C’est elle qui a piloté les négociations entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie et qui assure le bon déploiement du traité de cessez-le-feu. Une situation qui lui permet de reprendre appui dans le Caucase du sud et de s’affirmer face à ses voisins turc et iranien. Est-elle pour autant le maître du jeu de la région? Jean-Robert Raviot analyse la situation dans la région du Caucase du Sud.

Le professeur souligne que l’Arménie entretient des relations très étroites avec la Russie. “membre de l’OTSC, elle a signé en 2015 un accord établissant un système de défense aérienne conjoint avec la Russie, renforcé par un traité bilatéral (2016, ratifié en 2017) créant des forces armées conjointes avec commandement conjoint; l’Arménie abrite par ailleurs des troupes de gardes-frontières russes (4 500 hommes déployés aux frontières turco-arménienne et arméno-iranienne) et une importante base à Gumri (conformément à un accord arrivant à échéance en 2044)”. L’Azerbaïdjan, quant à lui, a pris plus de distance avec la Russie: il n’est pas membre de l’OTSC et il s’est nettement rapproché de la Turquie. En dépit de ces différences notables, Moscou demeure, pour ces deux États, absolument incontournable du fait du rôle central joué par la Russie dans la résolution du conflit du Karabakh.

Selon Raviot, l’évolution ultérieure dépendra des négociations qui seront menées entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. “Trois hypothèses sont possibles: la réactivation du Groupe de Minsk dans le cadre de l’OSCE (avec les co-présidences française, russe et américaine), qui est le cadre qui a prévalu jusqu’ici, l’ouverture d’un nouveau cadre russo-turc de négociations – un cadre qui exclut totalement l’Occident du jeu, ou bien encore un mixte des deux”.

Jean-Robert Raviot a également abordé les relations russo-turcs: “la Russie considère le conflit du Haut-Karabakh dans un continuum géostratégique allant du Nord-Caucase au Proche-Orient, incluant la mer Noire et l’Est de la Méditerranée. Dans cette perspective, ce qui prime n’est pas la protection de son allié arménien, mais le maintien d’un rapport de force favorable avec Ankara. Ce rapport de force se développe sur plusieurs terrains à la fois – Caucase, Syrie, Libye. Le maintien d’une relation de “partenariat” (c’est le terme couramment employé) avec la Turquie est essentiel. Dans cette vaste zone Caucase-Proche Orient-Méditerranée orientale, la Russie se positionne comme la puissance motrice de “partenariats” entre les puissances régionales – la Russie, la Turquie et l’Iran qui excluent, autant que possible, le bloc occidental et son proche allié Israël, c’est peut-être ce que vise la Russie pour toute la grande région Caucase – Mer Noire – Proche-Orient.”

Analysant le rôle de l’Iran dans le conflit du Haut-Karabakh, Jean-Robert Raviot note que “l’Iran a été discret dans cette guerre du Haut-Karabakh. À plusieurs reprises, Téhéran a rappelé son attachement au principe d’intégrité territoriale, semblant marquer un soutien indirect à la partie azérie. Pourtant, les relations de l’Iran avec l’Arménie sont bonnes. L’Iran, néanmoins, craint beaucoup l’Azerbaïdjan, dont la capacité de nuisance est, pour Téhéran, tout à fait réelle. Je mentionnerai trois éléments : tout d’abord, la guerre fait “bouger les lignes” en matière de frontières, puisque l’Arménie contrôlait de facto via l’occupation des territoires situés sur le flanc sud du Haut-Karabakh de larges pans de la frontière avec l’Iran qui repassent sous contrôle azéri; ensuite, il existe une forte minorité azérie en Iran (entre 15 et 18 millions, soit près de 20% de la population de l’Iran); enfin, et surtout, l’Azerbaïdjan est un devenu un proche allié d’Israël, qui fournit à Bakou des armes de pointes et qui a installé en Azerbaïdjan une “base” de renseignement sur l’Iran.”

Raviot conclut que “le président Poutine a réaffirmé que pour la Russie, ce conflit est un “conflit de famille”, qui oppose des peuples qui ne nous sont pas étrangers, sont “les nôtres”, d’autant plus que près de 2 millions d’Arméniens et près de 2 millions d’Azéris résident en Russie. Quelle peut être, dans ces conditions, la position de la Russie, sinon celle de l’arbitre?”

 

Source: Revue Conflits (site d’information)

Print Friendly, PDF & Email