“Nous savons que des arméniens manifestent dans leur pays contre ce cessez-le-feu, et que cette position s’exprime en France parmi des individus qui soutiennent la cause des nationalistes arméniens”, a déclaré Jérôme Lambert, député de l’Assemblée nationale, dans une interview exclusive accordée à Caucase de France.
CDF – On voudrait connaître votre point de vue sur le conflit du Haut-Karabakh et le rôle de la France dans ce conflit. Comment pouvez-vous commenter le fait que même si le ministre français des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian a maintenu la position du gouvernement, hostile à la reconnaissance de l’Artsakh, en déclarant que la France doit garder la neutralité car elle fait partie du groupe de Minsk, le Sénat et l’Assemblée Nationale ont adopté la résolution recommandant le gouvernement à reconnaître l’indépendance de l’Artsakh?
JL – Le gouvernement français respecte le droit international et les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU. Le Président de la République, Emmanuel Macron, a lui même indiqué que le Haut Karabakh était un territoire qui faisait partie de l’Azerbaïdjan. La reconnaissance d’une “république indépendante” ne serait pas conforme au droit international. Les souhaits exprimés par des sénateurs et des députés, en l’absence de débat à l’Assemblée Nationale, n’entraîneront aucune conséquence vis à vis de la diplomatie française.
– La France envoie de l’aide humanitaire et financière en Arménie. Il ne s’agit pas seulement des communautés arméniennes de France, qui collectent des fonds et des choses pour leurs compatriotes, mais sur des municipalités entières envoyant des dizaines de tonnes d’aide à l’étranger. A votre avis, vaut-il la peine d’aider les pays étrangers aujourd’hui quand il y a des personnes ayant besoin d’une aide en France même? Emmanuel Macron, selon vous, a-t-il raison d’être si présent sur la scène internationale?
– La France a une grande tradition de secours aux populations en difficulté dans le Monde. La France est une grande puissance, sixième économie de la Planète, et elle doit faire face aux responsabilités de sa situation vis à vis des autres Nations.
– Le groupe de Minsk s’est rendu la semaine dernière à Bakou, puis à Erevan. D’après vous, quel était le but de ces visites? Le groupe de Minsk est-il nécessaire maintenant? Ou la Russie, intervenant indépendamment dans le conflit, l’a-t-elle rendu vide de sens?
– Une large partie des missions dévolues au Groupe de Minsk ont été dépassées après le cessez-le-feu conclu entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, avec le retrait des forces arméniennes de la quasi-totalité des territoires qu’elles occupaient. Le retrait qui devait être négocié, est maintenant effectif. Reste à bâtir une paix durable et à considérer la petite partie du Haut Karabakh qui est restée entre les mains des forces arméniennes. C’est en cela que le groupe de Minsk doit apporter son concours aux arméniens et aux azéris.
– Il y a des problèmes graves à l’intérieur de la France vue de la pandémie COVID-19, comme, par exemple, la crise économique. Le président de l’Azerbaïdjan, Ilham Aliyev, a déclaré que l’Azerbaïdjan couperait immédiatement ses relations diplomatiques avec tout pays qui reconnaissait l’indépendance d’Artsakh. Selon vous, n’est-il pas mieux de maintenir des relations économiques avec l’Azerbaïdjan qui a du potentiel et qui pourrait être utile pour sortir de la crise économique après la pandémie que de soutenir l’Arménie qui n’est pas si utile économiquement?
– La question de la reconnaissance d’une république indépendante dans le Haut-Karabakh ne se pose pas pour les autorités françaises ni d’ailleurs pour la communauté internationale qui respecte le droit international, défini par les résolutions du Conseil de sécurité des Nations Unies. Nos relations avec l’Azerbaïdjan doivent continuer de prospérer, ainsi que nos relations avec l’Arménie. La France est l’amie de ces deux peuples. C’est la voie que nous avons choisie il y a déjà longtemps et nous ne devons pas en choisir une autre.
– On a lu récemment que vous avez été cible d’insultes et de menaces proférées par la communauté arménienne. De quoi les agresseurs vous ont-ils accusé?
Certains français qui revendiquaient des liens avec l’Arménie ont conduit une guerre de l’information en France, afin que tous les médias et tous les responsables politiques adoptent le seul point de vue de l’Arménie. Tous ceux qui étaient attachés à la position diplomatique de la France et qui étaient respectueux des résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU, ont été la cible d’insultes et de menaces afin de les dissuader de s’exprimer librement. Des individus au comportement violent, s’exprimaient sur les réseaux sociaux de façon délictueuse, proférant des insultes et des menaces afin que seul le point de vue de l’Arménie puisse être pris en compte.
– La Russie a signalé une violation du cessez-le-feu au Haut-Karabakh samedi dernier. Selon vous, la violation du cessez-le-feu était-elle inévitable?
– La Russie a, en effet, signalé quelques faits de violations du cessez-le-feu, sans pouvoir en déterminer les éléments initiateurs. Nous savons que des arméniens manifestent dans leur pays contre ce cessez-le-feu, et que cette position s’exprime en France parmi des individus qui soutiennent la cause des nationalistes arméniens. À n’en pas douter ces éléments représentent un danger pour le respect des règles du cessez-le-feu. Mais j’espère que les forces russes permettront leur neutralisation.
– Qu’est-ce que vous pensez de la déclaration du président turc Recep Tayyip Erdogan qui, commentant les initiatives de Paris pour reconnaître l’indépendance du Haut-Karabakh, a dit que le président français Emmanuel Macron “n’a pas appris la politique”?
– Le Président Erdogan ne semble pas bien informé. La France et son gouvernement n’ont pris aucune initiative pour reconnaître l’indépendance du Haut Karabakh, malgré quelques pressions que peuvent exercer les milieux nationalistes arméniens. Des expressions de telle nature ne sont pas convenables entre dirigeants de grandes nations. Surtout quand elles ne sont fondées que sur de mauvaises informations.
Jérôme Lambert – Député (PS) de la Charente (Assemblée nationale); Membre de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe